Le Coroner d'hier et d'aujourd'hui

Depuis 1986, le Coroner a un rôle purement social qui vise la prévention du décès, laissant à la police la détection du crime.

Introduction | Le Coroner d'hier | Le Coroner d'aujourd'hui | Conclusion

Lien pertinent :

Mandat du Bureau du Coroner

: Canadian Coroner Law , Granger, Christopher, 1984

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Introduction

Inutile de consulter le dictionnaire pour apprendre qu'est-ce qu'un coroner, car le coroner au Québec est une création purement juridique faisant partie d'une institution unique, qui fut l'objet d'une réforme majeure en 1986 avec la mise en vigueur de la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès (L.R.Q. c. R-0.2). C'est à l’intérieur de cette loi qu'il faut chercher afin de comprendre quels sont le rôle, la fonction, les pouvoirs et les devoirs du Coroner au Québec ainsi que le but principal de l'institution aujourd'hui.

Afin de bien saisir l'envergure de la réforme, il importe de connaître l'histoire du Coroner.

Le coroner d'hier

L'institution du coroner provient de l’Angleterre et fut introduite au Canada avec le système de droit britannique common law. Il s'agit d'une institution très ancienne qui, selon certains, a vu le jour en Angleterre en 1194 dans The Articles of Eyre sous le règne de Richard I. Elle fut créée au niveau du gouvernement local pour empêcher le shérif de devenir trop puissant dans les différents comtés et pour s'assurer que le Roi recevait tous les revenus qui lui étaient dus. À cette époque, le rôle du coroner était assez étendu et ne se limitait pas au décès, bien que l'enquête ( inquest ), lors d'un décès soudain ou violent, ait été l'une de ses fonctions les plus importantes.

Le coroner perd du pouvoir et de l'importance vers la fin du XIIIe siècle, mais il continue à enquêter lors de décès violents. L'aspect « détection du crime » prend, à cette époque, plus d'importance que l'aspect « collecte des revenus ». En Angleterre, c'est au XIXe siècle que la fonction de coroner commence à évoluer, à se moderniser et à se distinguer du système criminel1 . Sa principale fonction est maintenant d'expliquer les décès survenus dans une variété de situations ayant peu d'éléments suspects ou criminels2 .

Au Canada, l'institution du coroner s’est aussi modernisée. Ainsi, plusieurs provinces ont brisé la tradition et ont adopté un système de medical examiner tandis que d'autres ont apporté des réformes d'envergure à l’institution traditionnelle.

Au Québec, jusqu'en 1986, le coroner avait toujours comme préoccupation majeure la détection du crime. Les décès tels les suicides ou les accidents ne faisaient l'objet que d'une investigation très sommaire. Les informations complètes sur les décès violents n'étaient donc ni recueillies, ni conservées et ni disponibles pour étude, comme c'est le cas actuellement. L'omission d’accorder de l'importance au rôle social du Coroner, en matière de prévention des décès, constituait une sérieuse lacune.

Les critiques de la fonction archaïque et désuète du Coroner ont amené le gouvernement, en 1972, à demander une étude exhaustive de la situation3 . Lors de cette étude, on a examiné non seulement le coroner au Québec, incluant les services médicolégaux, mais aussi le coroner et le medical examiner ailleurs au Canada, en Angleterre et aux États-Unis. On a conclu que l'institution du coroner au Québec avait besoin d'être réorientée et le système, entièrement restructuré, comme c'était déjà le cas dans d'autres juridictions.

Il fut proposé que le Coroner se préoccupe désormais de :

la prévention des situations susceptibles de porter atteinte à la vie des citoyens;

la détection efficace et complète des causes et des circonstances des décès;

la diffusion d'informations précises et exactes sur les décès à ceux qui en ont besoin et aux divers agents chargés d'appliquer les lois ou susceptibles d'apporter des changements dans des situations visant la prévention des décès.

Le fruit de ce travail s’est par la suite reflété dans la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès (la loi) mise en vigueur en mars 1986.

Quoique le terme « coroner » ait été maintenu, son rôle, sa juridiction, l'organisation de son fonctionnement, les outils d'investigation et d'enquête étaient modifiés afin de permettre à l'institution d’atteindre deux buts majeurs :

Contribuer à la prévention des décès évitables en recueillant et en rendant publiques et accessibles les données complètes qui expliquent les causes et les circonstances de tout décès violent ou obscur au Québec.

Faciliter la reconnaissance et l'exercice des droits et des recours à la suite des décès violents ou obscurs, en conservant les éléments de preuve qui expliquent les causes et les circonstances des décès et les rendre accessibles à ceux qui en ont besoin.

Le coroner d'aujourd'hui

1. Le coroner est-il impartial ?

L’institution et le Coroner sont deux entités indépendantes et impartiales. En effet, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, la loi et le Code de déontologie des coroners4 assurent, par divers moyens, que les coroners agissent dans l’indépendance et l'impartialité dans l'exercice de leurs fonctions.

La loi place l'institution même à l'abri d'interférences politiques en concentrant tous les pouvoirs de gestion entre les mains du coroner en chef qui contrôle les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs de la loi.

Cette neutralité est d'une importance capitale, car il y a peu de décès accidentels ou obscurs dans lesquels l'État n'est pas impliqué de près ou de loin. Pensons, par exemple, aux décès impliquant le système de santé, la police ou le réseau routier. Ces décès inattendus peuvent aussi soulever des litiges concernant les compagnies d'assurances, les différents organismes publics tels la CSST ou le ministère des Transports.

Il est donc important que la preuve et les expertises qui permettent d'expliquer les causes et les circonstances des décès soient recueillies et conservées dans l'impartialité la plus totale.

2. La compétence et les pouvoirs du coroner

Le tout premier article de la loi établit que le coroner est un officier public qui a compétence à l'égard de tout décès survenu au Québec. Il découle de ce statut que la fonction de coroner doit s'exercer avec intégrité, indépendance et dignité.

Le deuxième article de la loi se lit comme suit :

2. Le coroner a pour fonctions de rechercher au moyen d'une investigation et, le cas échéant, d'une enquête :

l'identité de la personne décédée;

la date et le lieu du décès;

les causes probables du décès, à savoir les maladies, les états morbides, les traumatismes ou les intoxications qui ont causé le décès ou y ont abouti ou contribué;

les circonstances du décès.

Enfin, l'article 3 prévoit :

3. S'il y a lieu, le coroner peut également faire, à l'occasion d'une investigation ou d'une enquête, toute recommandation visant une meilleure protection de la vie humaine.

Dès qu'il y a décès violent ou obscur, le coroner a d'importants pouvoirs lui permettant de prendre possession du corps et de demander les expertises nécessaires, afin de clarifier les causes médicales du décès ainsi que de rechercher et saisir les objets et documents qui peuvent l'éclairer concernant les circonstances du décès. Sauf dans le cas où il y a potentiellement matière criminelle, le coroner a autorité absolue, en vertu de la loi, pour découvrir les informations permettant d'expliquer le décès. Cette autorité du coroner prime sur la compétence d'autres agents de l'État qui détiennent aussi des mandats à la suite des décès (telle la CSST). Combinée avec le statut indépendant du coroner, cette autorité garantit que toutes les informations nécessaires pour expliquer le décès seront re- cueillies (incluant les expertises).

La grande majorité des 5 000 décès rapportés chaque année sont examinés par des coroners investigateurs, généralement des médecins. Environ une vingtaine de ces décès donnent lieu à une enquête publique par des coroners de formation juridique. La fonction du coroner enquêteur et celle du coroner investigateur sont identiques. La différence entre ces deux moyens réside dans le fait que l'investigation consiste en une collecte de données qui se fait en privé tandis que l'enquête, elle, est publique. Aussi, seul le coroner qui préside l'enquête peut obliger les gens à comparaître devant lui afin de fournir les informations pertinentes aux causes et aux circonstances des décès. Le pouvoir du coroner enquêteur d'assigner les témoins rend nécessaire un encadrement plus formel et un processus public qui vise à assurer la protection des témoins. Ainsi, le critère principal pour décider s'il faut ordonner une enquête ou non est la nécessité de recourir aux témoins, et seul le coroner en chef peut ordonner une enquête.

3. Où vont les informations recueillies ?

Le rapport du coroner concernant les causes et les circonstances du décès est public. Le principe de la publicité, dans la nouvelle loi, fait exception à la règle de confidentialité qui s'applique normalement aux renseignements personnels recueillis par les agents de l'État.

Le régime d'accès et de confidentialité particulier créé par la loi tente d'équilibrer deux notions opposées : d’une part, l'intérêt de la société de connaître les causes et les circonstances des décès violents ou obscurs de ses membres et d’autre part, le droit des administrés à la confidentialité des renseignements personnels. Cette divulgation est la garantie que les personnes chargées de corriger les situations susceptibles de porter atteinte à la vie agissent vraiment.

Le coroner, lorsqu'il a terminé son investigation, doit verser aux archives, tenues par le coroner en chef, non seulement son rapport, mais tous les rapports, documents ou autres informations qu'il a obtenus lors de l'investigation. Ces derniers sont d'accès restreint.

4. Un outil de prévention

Seule la connaissance approfondie des causes et des circonstances de chaque décès nous permet de confronter les phénomènes de mortalité prématurée.

L'Organisation mondiale de la santé l'exprime de cette façon :

Pour la défense contre la mort, ce qui importe c'est de rompre l'enchaînement des phénomènes morbides et de commencer le traitement à un certain stade. Du point de vue de la santé publique, il est évident que l'intervention la plus efficace consiste à empêcher d'agir la cause qui déclenche le mouvement. 5

Le coroner participe à la prévention des décès de deux façons :

i) Les recommandations

C'est au moyen du pouvoir de recommandation que le coroner peut actualiser le volet « prévention » de sa mission, en soulignant ou dénonçant les situations nécessitant des modifications en respect du droit de tout membre de la société à la vie, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne.

Il n'y a pas d'obligation légale à suivre les recommandations du coroner et les suites qui y sont données dépendent de la force morale et de la crédibilité que l'on accorde à l’institution. Le coroner en chef, lorsqu'il le croit approprié, s’assure que les recommandations sont transmises aux personnes visées et en informe le public et le gouvernement. Chaque année, le coroner en chef publie un répertoire de recommandations.

Cet aspect de la loi est unique à l'institution du Québec et, depuis dix ans, les coroners ont eu une grande influence dans de nombreux cas.

ii) Les archives et la banque de données

Les informations complètes et exhaustives expliquant les causes et les circonstances des décès, recueillies par les coroners lors de l'investigation ou de l'enquête, se trouvent aux archives du coroner en chef. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, une banque de données a été constituée, ce qui permet d'exploiter les données des coroners et de repérer et de suivre les tendances concernant la mortalité au Québec. Cette information est publique et est donc accessible aux personnes et aux organismes engagés dans la protection de la vie humaine.

Aussi, les chercheurs peuvent, à des fins d'études et de recherches scientifiques, consulter les documents confidentiels en annexe au rapport du coroner, avec l'autorisation du coroner en chef. Seul le Coroner permet un accès si complet aux informations de cette nature. D'autres entités, tels les établissements de santé, la SAAQ, la CSST ou le BSQ qui détiennent les informations sur les décès, ne peuvent pas les rendre accessibles de la même façon.

Depuis dix ans, les informations recueillies par les coroners sur les causes et les circonstances des décès ont beaucoup servi. Des chercheurs de différents secteurs sont venus étudier les dossiers des coroners en matière de suicide ou de noyade, par exemple. La banque de données a été exploitée par certains secteurs gouvernementaux et par le coroner en chef pour analyser les tendances de certains types de mortalité, tels les décès reliés aux autobus scolaires et le suicide par arme à feu.

5. Pour un meilleur exercice de nos droits

À la suite d’un décès, il y a des questions à l’égard de la succession qui doivent être réglées. Lorsque le décès est violent, les questions concernant le paiement des assurances et d'autres paiements qui doivent être versés à la suite d’un tel décès sont souvent plus complexes.

Il est important pour tous que des informations valables et crédibles soient rapidement recueillies, conservées de façon sécuritaire et mises à la disposition de ceux qui en ont besoin à la suite d’un décès. Les proches, les organismes publics et les compagnies d=assurances ont le droit de connaître et d'obtenir les informations détenues par le coroner. De cette façon, les successions peuvent être réglées avec plus d'efficacité et les litiges, évités.

CONCLUSION

Nous vivons dans une société qui a un profond respect pour la vie humaine. Cela se reflète dans nos lois et nos institutions. La Charte québécoise des droits et libertés de la personne, à son tout premier article, édicte que : « Tout être humain a droit à la vie ainsi qu'à la sécurité, à l'intégrité et à la liberté de sa personne. »

Nous attendons et nous acceptons la mort seulement lorsqu'elle a lieu à la fin du cycle normal de la vie. Le décès prématuré ou inattendu enlève à l'individu la jouissance de la vie à laquelle il a droit et prive la société d'un membre productif.

Depuis dix ans, nous avons, au Québec, une institution unique et nécessaire qui permet de s'assurer qu'une personne qui meurt de façon soudaine et inattendue, dans des circonstances obscures ou violentes, ne soit pas enterrée ou incinérée sans que l'on sache pourquoi elle est morte et comment un tel décès pourrait être évité.

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NOTES

1. Granger, Christopher. Canadian Coroner Law, Carswell Company Limited, 1984.

2. Report of the Home Office on Death Certification and Coroners, (CMND. 4810, 1971).

3. Pour la Réforme de la certification des décès et de l'institution des coroners, gouvernement du Québec, ministère de la Justice, Direction de la recherche, septembre 1980.

4. Code de déontologie des coroners, adopté par le Décret 557-90, le 25 avril 1990.

5. Classification internationale des maladies, révision 1975, Organisation Mondiale de la Santé, vol. 1, p. 704.

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Source : Me Cathie Halpenny , conseillère juridique au Bureau du coroner

2001-01-16 13:23

Source: http://www.msp.gouv.qc.ca/coroner/coroner.asp?txtSection=burecoro&txtCategorie=publicat&txtSousCategorie=&txtNomAutreFichier=coroner_hier_aujourdhui.htm&txtAutreFichier=2